Les grenats de Menet - Cantal
Jean-Luc Designolle (AFM)

INTRODUCTION
Avec son petit lac, Menet est une charmante petite commune du Nord du Cantal, un peu à l'écart des grands axes.
Elle doit sa réputation à sa pierre à bâtir, tendre et claire. Pour entretenir le lien, chaque été, des stages destinés aux sculpteurs sur pierre y sont organisés. Chaque année, un thème différent est proposé et les artistes donnent corps à leur vision dans des blocs de pierre de Menet. Vous pouvez découvrir une quarantaine des œuvres réalisées à ces occasions le long d'un sentier de découverte, « le chemin des pierres sculptées » que fait vivre l'Association « pierres de Menet ». La balade est bucolique, le sentier est ombragé, les paysages sont calmes et reposants.
village
Le village est construit au pied du Puy de Menoyre qui a fait l'objet de plusieurs exploitations réparties sur les versants Nord, Ouest et Sud du dôme. La dernière exploitation est la carrière de Liocamp (Alfred Lacroix écrivait Lieucamp). Son dernier exploitant, la Société en nom collectif « Verdier et Cie » avait une autorisation Préfectorale d'extraction jusqu'en 2014. Délivrée en 1974, renouvelée pour 20 ans en 1994, elle portait sur un petit périmètre de 5,28 ha et permettait la réalisation de fronts de taille de 25m de hauteur (aujourd'hui, la hauteur de front autorisée est plutôt de 15 mètres) pour une extraction annuelle de 960 tonnes. Elle faisait suite à l'exploitation de la carrière du Cheyrier située sur le versant Ouest du Puy (exploitation déclarée en mairie par Mme Andrée Verdier le 20 janvier 1964).
En 2003, date à laquelle Gérard Troy a écrit pour le cahier le premier article sur le secteur, la carrière de Liocamp n'était déjà plus exploitée.
Une ancienne carrière de trachyte existe également au lieu-dit Aliès-Haut avec des fronts de taille de faible hauteur envahis par la végétation. Une autre a enfin été exploitée à Vensac, mais cette fois dans des phonolites
L'exploitation de la pierre de taille se poursuit encore dans les trachytes de la carrière du Puy d'Augoules et dans les tufs de Brocq que l'exploitant et sculpteur Gilles Dumas nous a dit vouloir abandonner. Quant à la carrière d'Augoules, située juste derrière son habitation, il a pu renouveler son autorisation d'exploitation jusqu'en 2042.
Je me souviens des récits de nos plus anciens membres qui, au retour d'une sortie à Menet, nous racontaient comment les ouvriers leur extrayaient les enclaves à coups de marteau piqueur.
En effet, pour ceux-ci, nos enclaves sont 'des crapauds' qui sont autant de défauts à l'homogénéité des blocs.
Aujourd'hui encore, l'accueil qui nous est réservé est des plus sympathiques. En août 2014, une sortie régionale nous a conduits à Menet et M. Dumas nous a autorisés à chercher dans sa carrière du Puy d'Augoules, en nous indiquant l'endroit où il met de côté les enclaves qu'il rencontre. Dans la carrière de Liocamp, à la faveur d'un éboulement récent d'une partie du front de taille, nous avons également pu avoir accès à du matériel relativement frais.
CarrieresGÉOLOGIE
D'un point de vue géologique, les roches exploitées sont des trachytes, de couleur blanche. La notice de la carte géologique de Riom-es-Montagne nous apprend que ces « roches présentent toute une gradation entre les termes sous-saturés (Brocq, Haut-Aliès) et les termes saturés (Menoyre, Augoules) ». Cette notice évoque également la fréquence des enclaves homœogènes (liées génétiquement à la roche englobante et ayant cristallisé à partir du même magma) et enallogènes (sans parenté avec la roche qui les contient ; c'est le cas des morceaux de roche arrachés par la lave à la roche encaissante lors de sa montée), notamment à Menoyre. « Les trachytes sont hololeucocrates, c'est à dire qu'ils sont très riches en minéraux clairs (Leucos en grec : blanc) et ont la composition moyenne suivante : anorthose 90%, biotite, amphibole (kaersutite), pyroxène (salite) 7%, minéraux opaques 2%, zircon, sphène 1%. En fin de cristallisation apparaissent quelques traces soit de tridymite, soit d'analcime. »
Dans le paysage, les dômes de trachytes ont des formes arrondies qui peuvent atteindre 500 mètres de diamètre. La carte géologique recense 4 massifs de trachytes alignés sensiblement Ouest-Sud-Ouest – Est-Nord-Est : d'Est en Ouest : Puy d'Augoules, Puy de Menoyre, Haut-Aliès et Brocq. Ils recoupent presque à la perpendiculaire des massifs de phonolites.
Carte

MINÉRALOGIE
Grenat Andradite – Ca3Fe2Si3O
12
Sur le Puy de Menoyre, l’andradite est relativement fréquente. Elle recouvre de cristaux aux formes très torturées et aplaties les plans de faille de la roche. L’un des objectifs de notre sortie régionale de 2014 était justement de retrouver ces grenats. Malgré cela, il nous a fallu une bonne heure avant de constater que ce que notre œil prenait pour du lichen sur les blocs était en fait du grenat !
En 1970, Jacques Varet, qui venait de terminer sa thèse de doctorat de 3ème cycle sur les « trachytes et les phonolites du Cantal septentrional », a établi une origine fumerollienne de ces cristaux d'andradite à partir des constituants des pyroxènes calcique et riches en fer présents dans les trachytes du dôme de Menoyre. Ces éléments ont été déposés dans les fractures de la roche par des fumeroles tardives à fort pouvoir oxydant, suivant la réaction : Hedenbergite + O2 --> andradite + hématite + cristobalite.
En 2003, sur le site de l’ENS-Lyon, Pierre Thomas a publié une note sur les mêmes grenats. Il y relevait la présence de manganèse et attribuait, par erreur, ces grenats à la spessartine (Mn3Al2Si3O12). J’ai pu l’interroger et il a eu la gentillesse de me répondre qu’il a attribué ce nom d’espèce la seule information, qu’il avait de présence de manganèse dans les grenats de Menoyre. On a là un exemple exceptionnel de formation de grenats à la pression atmosphérique. C’était le message de la note de Pierre Thomas.
L’analyse faite par l’AJW nous a donné les résultats suivants :

Elément

% atomique

Ca

38.84

Fe

27.91

Ti

1.72

Mn

1.33

Si

30.20

Ces résultats confirment bien l’andradite manganifère. Elle est également titanifère.
Dans l’ancienne carrière d’Aliès-Haut, j’ai trouvé sur un bloc de l’éboulis situé à l’entrée de la carrière le même type de cristallisations d’andradite d’origine fumerollienne. Des cristaux à la morphologie plus classique côtoient des cristaux très plats
Mindat évoque la présence d'andradite dans certaines enclaves du Puy d'Augoules ; nous n'en avons pas trouvé
On trouve également des grenats andradite avec une morphologie similaire dans des enclaves sombres enallogènes. Un exemple est facilement accessible sur la place principale de Menet où une tête sculptée présente plusieurs enclaves sur la joue droite… dont une au fond de laquelle on distingue bien à la loupe les cristaux d’andradite qui ont curieusement résisté à la boucharde !


Grenat Almandin ? Fe3Al2Si3O12
Robin Fialip a également trouvé des grenats  d’une couleur rouge sombre dans des enclaves très semblables aux enclaves à saphirs (des enclaves homœogènes, résultant d’une différentiation du magma dans la chambre magmatique). Selon les observations de Robin, grenats et corindons ne se retrouvent jamais ensemble dans les mêmes enclaves. Ces grenats sont noyés dans la pâte et sautent facilement quand on réduit le bloc. Il s’agit sans doute d’almandin.
grenats

Apatite – Ca5(PO4)3F
Les cristaux d'apatite constituent des prismes de couleur blanche à gris pâle. Ils ne sont pas très abondants. On trouve également l’apatite sous forme de très fines aiguilles blanches. Noyée dans l'enclave, elle peut avoir l'aspect fondu décrit par Gérard Troy. Les cristaux peuvent aussi se développer librement dans les vacuoles

Aegirine – NaFeSi2O6
Du groupe des pyroxènes, l’aegirine est omniprésente. Les cristaux sont souvent bicolores vert clair / vert foncé. Elle peut former des édifices de cristaux enchevêtrés très aériens.

Biotite
Les cristaux de biotite sont fréquents dans la pâte, notamment des enclaves à corindons. En revanche, ce minéral ne produit pas de beaux micros..
le nom de biotite n’est plus reconnu par l’IMA. On parlerait plutôt maintenant de phlogopite.

Columbite – (Fe, Mn, Ti, Mg)(Nb,Ta)2O6
Citée par E. Gaillou comme minéral en inclusion dans les corindons. Les columbites sont riches en Niobium. Ce sont les minéraux opaques les plus abondants en inclusion dans les corindons.

Corindon – Al2O3
Les enclaves à corindons (bleus, variété saphir) sont l'objet de tous les fantasmes sur le terrain. Nous avons eu la chance en 2014 de trouver plusieurs fragments d'enclaves homœogènes à corindons. Ces enclaves sont compactes et présentent très peu de vacuoles. Les cristaux de corindon sont d'une couleur très claire, il est difficile d'en dégager un cristal bien formé et esthétique, même si les formes du prisme hexagonal sont bien visibles.
Dans son mémoire de DEA, Eloïse Gaillou a démontré l'origine magmatique des corindons du Puy de Menoyre. Les corindons auraient leur origine dans un fractionnement du magma à l'intérieur de la chambre et auraient cristallisé au sein de syénites en bord de chambre.

Enstatite – Mg2Si2O6
De beaux cristaux d'enstatite ont été trouvés par Yannick Vessely en 2011. La forme et la couleur vert très pâle sont caractéristiques.

Hématite – Fe2O3
Elle est citée par Jacques Varet comme produit de la réaction qui a permis que se développent les cristaux d'andradite dans les plans de faille. Gérard Troy en a trouvé un cristal.

Hornblende – Ca2((Fe,Mg)4Al)(Si7Al)O22(OH)2
Cette amphibole est également présente dans les enclaves. En l’absence d’analyse connue, nous avons retenu la formule chimique du terme intermédiaire entre Ferro-horblende et magnesio-hornblende

Ilménite  - FeTiO3
Ilmenorutile – (Ti, Nb, Fe)O2
Ces deux minéraux sont cités par E. Gaillou comme minéraux en inclusion dans les corindons

Magnétite – Fe3O4
La magnétite se présente en cristaux octaédriques noires, souvent associés aux pyramides courtes de zircon. Elle peut être très riche en facettes.

Pseudobrookite – (Fe3+,Fe2+)2(Ti,Fe3+)O5
C'est Lacroix qui cite ce minéral dans les enclaves enallogènes provenant du gneiss traversé par la cheminée volcanique. De façon étonnante, Lacroix cite ce minéral dans les comptes rendus de l’Académie des Sciences en 1890, mais ne reprend pas cette référence à la pseudobrookite dans sa Minéralogie de la France quelques années plus tard.
Je n'ai pas trouvé d'autre mention de ce minéral pour le gisement. Peut-être sommes-nous passés à côté, car il faut reconnaître que les enclaves du 
gneiss ne produisent pas beaucoup d'échantillons minéralisés et ne sont pas passionnantes à casser !

Quartz – SiO2
Le quartz n'est pas très fréquent. J'ai trouvé dans la carrière du Liocamp une gerbe de cristaux légèrement améthysés dans une enclave. Robin Fialip en a également trouvé quelques échantillons.
En 2014, Bernard Largeot a découvert de petits cristaux isolés d'une belle couleur violette dans une enclave de la carrière du Puy d'Augoules.
J'ai également un échantillon de quartz-béta de la carrière de Liocamp, une aiguille incolore très élancée dont la section diminue avec l'allongement.

Rutile – TiO2
Cité par E. Gaillou comme minéral en inclusion dans les corindons, dans les mêmes faibles proportions que l'ilménite. Elle attribue à de micro-aiguilles de rutile et d'ilménites orientées dans les plans de croissance l'aspect laiteux de certains saphirs.

Sillimanite – Al2SiO5
Le minéral est évoqué par lacroix, dans les enclaves enallogènes du gneiss.
Un minéral fibreux a également été observé par E Gaillou dans l'enclave homœogènes à  corindons que lui avait procurée Etienne Médard et Eric Naud qu'elle rapporte à de la « sillimanite ou plus probablement de la mullite ». Il recouvre les cristaux de corindons. Nous avons observé cette fine pellicule blanche autour de nos trouvailles de 2014 qui semble disparaître lorsqu’on mouille les saphirs et laisse alors apparaître leur couleur bleue.

Spinelle – MgAl2O4
Hercynite – FeAl2O4
Cité par E. Gaillou comme minéral en inclusion dans les corindons. L'hercynite forme de beaux octaèdres. Il s'agit de termes intermédiaires dans la série des spinelles avec des substitutions (Fe avec Mg, MN, Zn)

Thorite – (Th,U)SiO4
Cité par E. Gaillou comme minéral en inclusion dans les corindons ; seuls 2 grains d'environ 40 µm y ont été observés

Titanite – CaTiOSiO4
La titanite est assez fréquente au Puy de Menoyre. Elle forme des cristaux assez plats, d'un beau jaune, souvent noyés dans l'enclave et qu'il est difficile de dégager.
Les plus beaux cristaux de titanite du secteur sont indéniablement ceux de la carrière du Puy d'Augoules. Ils sont omniprésents dans les enclaves en cristaux très allongés. Leur couleur peut aller du jaune d'or à un orange assez vif

Tridymite – SiO2
La tridymite est très abondante dans certaines enclaves ; les cristaux ont des contours relativement irréguliers, voire déchiquetés ; leur couleur tend parfois vers le bleuté. On retrouve souvent des assemblages de 3 cristaux en livre ouvert, à l'origine du nom du minéral.

Pyrochlore (Groupe)
E. Gaillou cite également l’Yttropyrochlore-Y comme minéral en inclusion dans les corindons. Il contient beaucoup de terres rares. Le terme d’Yttropyrochlore-Y est aujourd’hui discrédité

Zircon – ZrSiO4
Les cristaux de zircon des enclaves du Puy de Menoyre prennent une belle couleur tirant sur le rouge. Dans certaines enclaves, ils sont systématiquement associés à des cristaux de magnétite aux formes complexes et l'allongement du prisme est relativement faible, faisant penser à deux pyramides accolées dos à dos.
Dans la carrière du Puy d’Augoules, les cristaux de zircon sont très petits et d’un rose pâle, associés à la titanite et l’aegirine
Le zircon est également présent en inclusions dans les cristaux de corindon.

UK01
Dans les enclaves du Puy d’Augoules, nous avons trouvé de petites pyramides aux formes arrondies mais de symétrie hexagonale et de couleur blanc cassé
mineraux
mineraux a

CONCLUSION
Le secteur de Menet mérite encore toute notre attention de microminéralogistes. Les trouvailles sont encore possibles dans la dernière carrière en exploitation, mais également, avec un peu d'opiniâtreté, dans les anciennes carrières où la végétation a déjà repris ses droits.
Sur le site de la Bibliothèque Nationale de France, gallica (gallica.bnf.fr), d'anciens ouvrages sont maintenant accessibles, et notamment le mémoire présenté par Alfred Lacroix « Etude sur le métamorphisme de contact des roches volcaniques » à l'Académie royale des Sciences de l'Institut de France. Je ne saurais trop vous conseiller de découvrir ou redécouvrir ce texte fondateur où, pour la première fois, les textes d'enclaves énallogènes et homœogène sont employés.

REMERCIEMENTS
Un grand merci à Yannick pour les photos de mes grenats !
Merci aux participants de la sortie régionale à Menet d'avoir résisté, ce jour-là, à l'appel des girolles !
Nous avons eu de nombreux échanges de mail avec Robin Fialip. Son blog sur les minéraux du Cantal mérite que vous y fassiez un petit tour.

BIBLIOGRAPHIE
Jacques Varet (1967) : cristaux d'andradite développés sur les plans de fracture du dôme trachytique de Menoyre (Cantal) Bull. Soc. Franç. de Minér. Cristall. Vol 90, pp102-106
Varet J (1970): the origine of fumarolitic andradite at Menoyre, France and Fant'Ale, Ethiopia. Contr. Mineral. Petrol., t27 ; P321-332
Lacroix A (1890) : sur les enclaves du trachyte de Menet (Cantal), sur leur modification et leur origine C.R. Ac. Sc., t111, P1003
Brousse R., Varet J. (1966) : les trachytes du Mont Dore et du Cantal septentrional. Leurs enclaves. Bulletin de la Soc. Géol. de France, tome VIII, P246-262
Troy G. (2003) : Un gisement auvergnat de microminéraux : le Puy de Menoyre (Cantal). Le Cahier des Micromonteurs n°80 2-2003
Gaillou E. (2003) : étude minéralogique des saphirs du Sioulot, du Mont Coupet et du Ménoyre – Détermination de leur origine. Mémoire de DEA – Université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand
www.infoterre.fr
www.pierresdemenet.com
http://mineralogie-cantal.blog4ever.com/photos/un-volcan-trachyte-a-enclaves-le-puy-de-menoyre-menet
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